Amras Anárion est le créateur du projet Pokémon Sacred Phoenix : un fan-game Pokémon au lore riche, se déroulant dans une époque ancienne / celtique. Dans cette interview, nous revenons sur les ambitions du projet Sacred Phoenix, et nous pénétrons dans les coulisses de création d’un fan-game Pokémon. Comment cela se passe ? Comment s’y prendre ? Combien de temps ça prend ? Vous aurez toutes les réponses à vos questions !
Avant de commencer
Cet article est une republication d’une interview réalisée en septembre 2021 et qui était alors disponible sur le forum Nuzlocke France.
Depuis, Pokémon Sacred Phoenix a connu une refonte totale des bases de données en partant de zéro. Sur ces nouveaux fondements se sont ajoutés les Pokémon barons, les combats triples et de horde, les Field Effects (à l’instar de Pokémon Reborn), ainsi qu’un système d’artisanat.
Enfin, la mise à jour de fin avril finalise le chapitre 1, la seconde ville du jeu ainsi que des quêtes secondaires. 80 % des fonctionnalités prévues étant implémentées, Amras Anárion estime que le développement devrait s’accélérer par la suite. Vous pouvez suivre l’évolution du projet sur le serveur Discord de Sacred Phoenix et le site Internet.
L’entretien avec Amras se veut le plus complet possible afin de saisir les nombreux enjeux à prendre en compte quand on se lance dans la création d’un fan-game Pokémon. Afin de vous faciliter la lecture, nous vous recommandons de vous y prendre à plusieurs fois. Le sommaire ci-dessous vous permet de naviguer partie par partie.
Sommaire
- Le contexte de création du projet Sacred Phoenix
- Le lore de Sacred Phoenix, ou comment écrire le scénario d’un fan-game ?
- Les fonctionnalités proposées par Sacred Phoenix
- Le développement d’un fan-game Pokémon
- Comment gérer un projet de fan-game Pokémon ?
- Le futur du projet Sacred Phoenix
Contexte de création du projet Sacred Phoenix
Bonjour Amras ! Merci d’avoir accepté cette interview !
Bonjour Gobou. Merci de ton accueil. C’est avec plaisir que j’échange avec toi.
Plaisir partagé ! Est-ce que tu souhaites te présenter en quelques mots pour ceux qui ne te connaissent peut-être pas encore ?
Je suis Amras Anárion (ou Anarlaurendil lorsque le pseudo est déjà pris) : je tiens ce nom de l’univers elfique de J.R.R. Tolkien depuis que j’ai fait mes premiers pas dans l’univers d’Internet, il y a près de 16 ans. Vous en déduirez que j’adore les univers de style médiéval fantastique et où le surnaturel est présent.
Je suis un afficionado des jeux vidéo de type RPG qui siéent naturellement à ce genre : Le Seigneur des Anneaux bien entendu, The Elder Scrolls (et son lore incroyable) ou Golden Sun… et Pokémon bien entendu.
A propos de Pokémon justement, est-ce que tu peux nous parler du rapport que tu as avec cette série ?
J’ai découvert Pokémon en mai 1999 avec le dessin animé diffusé chaque mercredi et samedi matin à la TV. Très vite ont fleuri dans ma cour de récré des Game Boys avec des élèves qui jouaient à Pokémon. Je voulais moi aussi le jeu. Et c’est ainsi qu’en juin 1999, jour de mon anniversaire de mes 10 ans (comme les dresseurs du monde Pokémon), j’ai obtenu la Game Boy Color et les versions bleue et rouge.
Ça été un coup de cœur car j’adorais cet univers « RPG » peuplé de créatures aux pouvoirs surnaturels. J’ai passé des centaines d’heures sur mes deux premières cartouches, limité par les piles AA qu’on acceptait d’acheter qu’une fois par mois au maximum (la paire tenait 50 heures).
J’ai suivi l’Anime jusqu’à la fin de la saison 4 (soit la fin du second tiers de Johto) et j’ai bataillé avec mon rare argent de poche pour pouvoir suivre l’évolution technologique des consoles jusqu’à la fin de la 3ème génération. Mais je n’ai pas pu suivre le train lors du passage à la 4G, une Nintendo DS n’était pas à portée de ma bourse (j’étais encore au collège !). J’ai ainsi décroché de l’univers pendant une longue période de 15 ans.
Suite à cette période de 15 ans, comment tu es revenu à la série ?
C’était en janvier 2018 : par nostalgie, j’étais curieux de savoir si Pokémon était toujours vivant 20 ans après sa création. La réponse était « oui » et plus que jamais… sauf que dans mon esprit, j’étais toujours resté à l’époque de la 3G. En termes de métagame, je ne dis pas le retard que j’avais à rattraper !
Sortant d’une époque de modding sur Skyrim (dont un mod téléchargé plusieurs centaines de milliers de fois), je me suis dit qu’il devait bien y avoir quelque chose fait par les fans de pas trop dépaysant pour moi. Et j’ai découvert Pokémon Gemme, le jeu qui avait le plus hypé dans la sphère française. Sorti en 2012, il faut dire qu’à l’époque, c’était une prouesse. (Aujourd’hui, je sais que beaucoup mieux est sorti.)
Ce fan-game correspondait à tous mes critères : Kanto (aspect nostalgie), plein de référence à l’anime, jeu basé sur la 4ème génération (parfait pour moi qui avait décroché aux portes de Sinnoh) et une difficulté plus élevée. Ça m’a aussi permis de progressivement me remettre à jour en termes de métagame, notamment le split physique/spécial.
Je n’ai jamais terminé le jeu à 100% ; la difficulté devenant exponentielle à la fin. Je me suis donc lancé sur un autre jeu de fan mais hack-ROM cette fois-ci : Pokémon Éclat Pourpre, basé sur la 3G.
Qu’est-ce que tu as retiré de ton expérience d’Pokémon Eclat Pourpre ?
L’expérience a été meilleure qu’avec Pokémon Gemme : tout le Pokédex 3G accessible intégralement en solo (c’est l’une des choses que je reproche le plus aux jeux officiels), une aventure originale dans une nouvelle région, une difficulté élevée mais pas exponentielle (le cap reste au niveau 100) et les règles 4G implémentées (dont le fameux split physique/spécial). J’ai ainsi pu le terminer à 100% avec le sentiment d’accomplissement qui va de pair.
C’est aussi sur ce jeu que j’ai commencé à vouloir jouer avec des règles de difficulté supplémentaire : à partir de la Ligue Pokémon, un KO était synonyme de mort. Il ne restait qu’un pas pour découvrir grâce à Internet qu’il existait un challenge similaire : le Nuzlocke.
Du coup c’est pour la difficulté que tu as commencé à t’intéresser au Nuzlocke Challenge ?
L’une des choses le plus souvent reprochées au jeu officiels (surtout depuis la 6G), c’est leur facilité enfantine. D’où la popularité du Nuzlocke et la quasi-totalité des jeux de fans qui revoient la difficulté à la hausse.
En cherchant si d’autres personnes que moi jouaient avec une règle du style « Pokémon KO = Pokémon mort », je suis vite tombé sur vous et me suis inscrit sur votre forum (en découvrant au passage le principe du Nuzlocke qui est encore plus poussé que ce que je m’imposais moi-même).
D’ailleurs, j’ai publié cette « aventure alternative » sur Nuzlocke France.
Tu es aussi, et ça va être au cœur de notre entrevue, le créateur d’un projet de fan-game du nom de Pokémon Sacred Phoenix (avec lequel Nuzlocke France est partenaire). Tu as eu l’idée de ce projet le 23 juin 2018. Avant de débuter ce projet, est-ce que tu avais déjà une expérience dans la création de fan-game Pokémon ou c’était vraiment ta première expérience ?
En effet, l’idée de créer mon propre jeu Pokémon a germé durant mon expérience avec ces deux fan-games. En découvrant ce qui pouvait se faire, j’avais de plus en plus envie de passer de spectateur à acteur.
Évaluant la faisabilité du projet (on parle d’une aventure sur le très long terme) j’ai fait une rétrospective de mes expériences passées :
- J’ai été chef de la seconde plus grande Guilde sur Le Seigneur des Anneaux Online durant presque 3 ans et j’ai fini par la grande porte en arrêtant le jeu (les membres de ma guilde auraient voulu que je reste) : ce fut une merveilleuse expérience de management de communauté et j’en garde de très beaux souvenirs.
- J’ai créé des mods sur The Elder Scrolls V : Skyrim, dont un qui a percé et été téléchargé presque un million de fois. Cette expérience m’a initié à plein de bases en conception de jeu vidéo.
J’avais donc les 2 qualités clés pour me lancer dans une telle aventure. Il ne manquait plus que l’étincelle inspiratrice, et elle est venue le jour du solstice d’été avec une vision prophétique qui mettait Ho-Oh en scène, le sceptre du Phénix et un dragonneau ressuscité à une époque reculée des temps Pokémon. À partir de là, ma décision était prise.
Pour conclure sur ta question, on peut dire à la fois que ce n’est pas ma première expérience (cf. ma rétrospective), mais ma première quand même (je n’ai jamais touché ou édité un fan-game).
Le lore de Sacred Phoenix, ou comment écrire un scénario de fan-game ?
Je te propose que l’on commence par aborder le scénario du jeu. Tu parlais d' »époque reculée » et l’univers de Sacred Phoenix a, effectivement, une forte inspiration celtique. Pourquoi avoir opté pour cette ambiance très ancienne plutôt que de faire un jeu Pokémon dans le monde moderne ? Est-ce lié à ta passion pour l’Heroic Fantasy que tu as évoqué plus haut ? Ou tu y as vu aussi des opportunités scénaristiques que les jeux de base n’exploitent pas ?
J’avais dit en début d’interview que j’étais particulièrement attiré par les univers médiévaux-fantastiques. Cela a naturellement influé sur mon choix d’intrigue. On pourrait faire penser à un crossover, mais mon scénario est entièrement intégré dans le lore Pokémon tout en le sublimant. Cela n’interdit pas des inspirations de-ci de-là avec les univers de fantasy qui m’ont marqué ou que j’ai créé moi-même.
Par exemple, le thème des sceptres magiques lié à des divinités est tiré d’un roman que j’avais commencé à écrire : Le Prophète d’Angélis (projet littéraire qui est aujourd’hui en longue hibernation).
Quant au choix de l’univers celtique, les raisons sont multiples.
- Sur la trame temporelle et géographique de mon fan-game, ça correspond au temps des Celtes. (Il y a une corrélation entre la sphère spatio-temporelle du monde Pokémon et celle de notre monde réel. Kalos qui est le miroir de la France en est un excellent exemple.)
- Ça met en valeur notre beau pays bleu-blanc-rouge (Keltios est littéralement à la frontière sud et sud-est de Kalos.)
- C’est un univers qui me plait beaucoup et c’est la civilisation réelle qui est la plus proche de celle des Elfes en termes d’art et d’us et coutumes.
- Ça me permet d’étendre le Lore Pokémon en me projetant dans une époque jamais explorée.
- Aussi, j’ai une plus grande liberté scénaristique que si je m’étais lancé dans une époque moderne. Je peux par exemple décréter que la magie est chose courante et remplace la technologie au sein de mon monde, lui conférant ainsi un côté « fantasy » tel qu’on le retrouve dans les RPG classiques.
Enfin, pour répondre à ta troisième question : c’est à la fois un défi et une originalité. Quand je me suis lancé en été 2018, il n’existait absolument aucun fan-game qui se déroulait à une époque reculée : c’était soit le présent, soit un contexte futuriste. Peut être qu’il y a pu y avoir des projets qui ont tenté le coup, mais ils ont tous avortés ou ont été abandonnés.
Inutile de dire qu’il y a un fort potentiel qui ne demande qu’à être exploré et exploité. Même Game Freak commence à le comprendre avec la sortie planifiée de Pokémon Legend : Arceus.
Tu as évoqué des divinités. En occurrence, dans Sacred Phoenix, les Pokémon légendaires (comme Ho-Oh, Darkrai etc…) font l’objet de véritables cultes qui sont au cœur du jeu (les fidèles de Giratina / Darkrai) sont d’ailleurs des antagonistes. Qu’est-ce qui t’as motivé à mettre les légendaires au cœur de ton récit ?
Le lore des Légendaires est clairement sous-exploité par Game Freak, pour ne pas dire massacré du fait d’un nombre croissant à chaque génération. Nous sommes clairement sur de la quantité au détriment de la qualité.
- Les « Fabuleux » n’ont souvent de fabuleux que leur nom : ils ont souvent un background pauvre et sont là pour justifier des distributions évènementielles.
- Avec presque 80 Légendaires et Fabuleux, il faut trouver une mécanique de gameplay « ta gueule c’est magique » pour pouvoir tous les rendre accessible au joueur (Cercles de Hoopa, Ultra Dimension, Raids Dynamax…)
- Dans de telles conditions de capture, leur mise en scène frôle le zéro.
- La capture des légendaires est facilité (le taux le plus courant est de 45 au lieu de 3)… voire même obligatoire ! (Le Légendaire reset immédiatement si tu l’as raté.)
- Avec un tel nombre de Légendaires, on a des conflits ou des contradictions de lore d’une génération à une autre, ce qui a obligé Game Freak a sortir le joker du multivers.
À la base, un Légendaire est un Pokémon surpuissant qui a un impact direct sur la stabilité du monde, au point que presque personne n’ose les capturer dans l’anime ou le manga. Bref, ils sont considérés comme de véritables divinités, sentiment beaucoup moins fort dans le jeu vidéo.
Sacred Phoenix cherche à rendre à César ce qui est à César en redonnant aux Légendaires tout le respect qu’ils méritent. Leur magie est omniprésente et régit les lois physiques du monde dans lequel les créatures vivantes évoluent. Lorsqu’ils se manifestent dans le monde matériel, ils prennent forme dans une enveloppe charnelle, mais leur esprit est immuable et reste imprégné dans l’ensemble de la création d’Arceus. C’est ce qui permet à un dresseur de les capturer sans mettre en péril l’équilibre du monde.
Conscient de leur statut supérieur, ils n’accepteront de se laisser capturer par un mortel que s’ils le jugent digne : briser une Pokéball n’est qu’une formalité pour eux.
Aussi, si l’enveloppe charnelle d’un Légendaire est détruite, il se réincarnera sous la forme d’un œuf qui finira par éclore une fois toutes ses forces reconstituées. C’est ainsi qu’ils sont immortels et ont l’assurance de toujours pouvoir revenir parmi les mortels.
Dans Sacred Phoenix, j’ai fait le choix de limiter le nombre de Légendaires présents (une trentaine en tout) afin que tous puissent être capturables dans le cadre d’une quête qui mettra en scène leur pouvoirs et leurs mythes.
Leur lore est grandement mis en valeur dans le scénario, ce qui se retranscrit par des conflits visibles dans le monde des humains. Giratina est l’exemple parfait : de nature chaotique, il n’hésite pas à charmer des mortels afin qu’ils prenne les armes contre les autres cultes en échange de son pouvoir. C’est un peu le Loki de la mythologie nordique et il s’est allié à Darkrai pour étendre son influence.
En jouant à la démo, j’ai remarqué que le jeu était découpé en chapitres. On débute par le prologue, mais il y a aussi le chapitre 1 et je présume d’autres chapitres à venir. Quelle est la plus-value d’un tel découpage ?
Sacred Phoenix mettra l’emphase sur la narration (un autre des gros points faibles des jeux officiels). Le héros vivra la Prophétie du Phénix et sera amené à devenir un dresseur d’exception après une initiation pour le moins mouvementé, faisant qu’il s’est retrouvé gardien d’une relique digne des plus hautes sphères du clergé kelte.
Pour renforcer l’aspect narratif et marquer les étapes clés franchies par le héros, la quête principale est donc découpée en chapitres.
Sais-tu combien il y aura de chapitres dans le jeu final ?
Entre la quête des talismans (badges) et les étapes annexes qui viendront agrémenter la quête principale (affrontement contre les Sectes, enquête à mener, villageois à aider, chemin à dégager…), il faudra en compter une quarantaine. Après, rien n’est décidé à l’avance, donc il y a encore une forte incertitude. Mon but est que chaque chapitre se fasse en environ 30 minutes de jeu (sans compter les détours et le papillonnage sur les quêtes secondaires).
Un post-game conséquent est aussi prévu et mènera le héros au cœur de grandes batailles et même au-delà des frontières de Keltios.
À propos du héros (ou de l’héroïne, car on peut aussi incarner une femme), j’ai remarqué que notre avatar parle et n’est pas muet contrairement aux jeux officiels. Pourquoi ce choix de faire parler notre personnage ?
Cela renforce l’immersion du joueur et lui permet de ressentir ses sentiments. D’expérience de la part des joueurs, c’est très souvent apprécié lorsqu’ils voient cela dans un fan-game.
Du coup on ne pourra pas rentrer dans le détail du lore du jeu (mais je pense que les lecteurs auront compris à travers tes réponses que celui-ci est particulièrement riche et vous pourrez d’ailleurs retrouver la présentation et la chronologie sur le site de Sacred Phoenix). Néanmoins, est-ce que tu peux nous expliquer comment tu écris l’univers de Sacred Phoenix ?
La première écriture du scénario de Sacred Phoenix date du 2 juillet. C’est celle que j’ai publiée sur Nuzlocke France. Il faut toujours commencer par mettre en place le background de l’univers et le point de départ avant de se lancer dans les détails.
L’univers, c’est Keltios il y a 2500 ans et 500 ans après la Grande Guerre de Kalos.
Keltios, c’est un royaume sous un régime théocratique (le clergé détient le pouvoir) avec un pouvoir central tenu par un haut-roi (le Roi Mythique) et des Augures qui administrent chaque région (Châtelleries), puis des Thanes à l’échelle des villes (qui sont souvent des Grands Prêtres).
L’intrigue, c’est un Roi Mythique qui a réussi à capturer Arceus lui-même, mais qui a laissé se développer les cultes bannis de Darkrai et Giratina, et avec eux des Pokémons Obscurs (référence à Colosseum et XD). Certains Augures ont donc un doute sur la pureté de cœur de leur souverain, mais si Arceus lui-même l’a choisi, comment pourrait-il être du côté obscur ?
Le point de départ, c’est un Prêtre (ou une Prêtresse) à peine initié(e) qui se retrouve au cœur d’une bataille sanglante entre son Culte et celui de Darkrai. Alors que son starter vient de se faire tuer (la mort des Pokémons est une réalité à Keltios) et que le même sort est sur le point de s’abattre sur notre protagoniste, Ho-Oh intervient, ressuscite notre jeune créature magique et nous sauve de ces profanateurs. À partir de là, on comprend qu’il (ou elle) est destiné(e) à accomplir de grandes choses.
Les étapes intermédiaires qui suivent ce point de départ sont créées au fur et à mesure de l’avancée de la trame principale. Seule une ligne générale est tracée (l’ordre des Châtelleries par laquelle notre personnage va passer ou les équipes des Augures).
Comment tu racontes ce scénario in-game ? Est-ce que tout le lore doit être mentionné ? Ou il faut choisir des bouts de scénario à inclure car sinon ça fait trop d’informations à assimiler pour les joueurs ?
Dans mon enthousiasme, je cherche à en dire le maximum en jeu. Mais le danger est de trop en dire et de lasser le joueur. (Les joueurs de Golden Sun peuvent témoigner : beaucoup estiment que les dialogues sont trop longs.) Je dois donc compenser en soignant la qualité de la narration (une belle mise en scène attise la curiosité du joueur qui sera alors plus immergé dans le dialogue).
Une astuce de level design consiste à rendre facultatif la lecture de certains dialogues, en les déportant par exemple sur des bibliothèques ou des PNJs de meublage. Le joueur sera alors libre d’interagir avec tout le monde s’il veut en savoir le plus possible ou de rusher s’il préfère aller le plus vite possible. C’est ce que j’ai fait à travers la bibliothèque de Fintan.
Les fonctionnalités de Sacred Phoenix
On va maintenant aborder le sujet des fonctionnalités de Sacred Phoenix. Elles sont nombreuses et on ne pourra pas tous les évoquer, mais est-ce que tu peux nous expliquer d’abord ta démarche pour inclure (ou non) une fonctionnalité supplémentaire ?
En effet, dès la première semaine, je bouillonnais d’idées novatrices pour mon fan-game ! Preuve en est sur mon fil Nuzlocke France qui dévoilait mon gameplay prévu.
C’est ce que j’appelle mon « Idéal », symbolisé par Zekrom : le monde Pokémon tel que je l’imagine dans mes rêves les plus hauts.
Une bonne moitié de ces Idéaux proviennent en majorité du dessin animé : il y a tant de concepts mis en valeur là-bas, mais tellement mal exploités dans les jeux vidéo. Les trois concepts les plus parlants sont les effets de terrain, la personnification des ordres d’attaques et l’importance cruciale de l’amitié.
L’autre moitié des changements projetés proviennent de mécaniques de gameplay qui me déplaisent dans la licence officielle, et ce depuis la première génération. Je peux citer la limite des 4 attaques (aka le « four moveslot syndrome »), la gestion de l’énergie cloisonnée via les PP, l’équilibrage de la table des types, la limite des EVs depuis la 3G et le côté « Bisounours » ou tout est gentil et personne ne meurt (alors qu’on parle de combats de monstres où ça tire à balles réelles !). Sur ce dernier point, les fans qui ont grandi avec la licence font quasiment l’unanimité ; d’où les jeux de fans qui réhaussent quasiment tous la difficulté. Sur le reste, je sors des sentiers battus.
Encore faut-il rendre tous ces Idéaux réels (Reshiram), et ça, c’est un travail d’envergure (mais c’est ce qui rend le défi d’accomplir Sacred Phoenix unique !)
Une excellente vidéo qui aborde cette thématique est la 4ème de mon journal des développeurs : l’Idéal et la Réalité.
Au début, j’étais candide et j’ai listé mes Idéaux d’une traite. Mais aujourd’hui, grâce à l’expérience, je prends en compte la faisabilité de l’idée et si ça apporte un impact positif en termes d’expérience de jeu. La liste a d’ailleurs légèrement évolué. Par exemple, l’aspect « Nourrir les Pokémons » est devenu moins contraignant, et ne pas le faire n’engendre aucune pénalité pour le joueur.
Est-ce qu’un fan-game doit explorer des mécaniques que les jeux principaux ne font pas ? Ou, au contraire, il vaut mieux rester fidèle aux mécaniques de base ?
Ça, c’est un débat digne des querelles byzantines. Pokémon est une licence qui a dépassé toutes les attentes en termes de chiffre d’affaires et de longévité : 25 ans et toujours top des ventes, alors qu’on lui donnait 20 ans maximum lors de la hype des versions Rouge et Bleue en 99.
Face à ce résultat, on serait tenté de faire un sophisme en déclarant « si les mécaniques de Game Freak marchent aussi bien, c’est qu’elles sont forcément parfaites ! ». C’est d’ailleurs la philosophie dominante au sein de la communauté française : changer les mécaniques de combat ou le style de mapping est limite considéré comme une hérésie, ce qui n’encourage pas l’innovation et la prise de risque.
Après, la barre est haute et il faut avoir un solide niveau en Game Design si on souhaite s’engager dans une amélioration de gameplay. Car le but est bien et bel de mieux faire que l’original et ainsi se démarquer des innombrables projets de fans. Pokémon Super Eevee Edition est un exemple de réussite en ayant instauré des combats à la Final Fantasy avec un manapool et un nombre illimité de capacités.
Si on n’est pas sûr de son coup ou si on est débutant, il vaut mieux rester sur le gameplay officiel. Ne rien changer est d’ailleurs la solution de facilité, car tout sera « clés-en-main » avec le logiciel choisi.
Si on se loupe, c’est prendre le risque de faire un jeu mal équilibré : les fan-games à la difficulté astronomique ne manquent pas et se voient souvent tournés en dérision.
Au final, qu’est-ce que le joueur recherche vraiment ?
Il suffit de regarder les retours de la communauté lorsque The Pokémon Compagny fait une annonce officielle.
La formule plait aux fans de toutes les générations (anciens et nouveaux), mais il y a inconsciemment une forte volonté de voir du changement de la part des plus anciens.
Soumis à la pression marketing et du bénéfice, The Pokémon Compagny prendra un minimum de risque : pourquoi changer de formule si celle-ci fonctionne à chaque fois ?
Puis la cible clientèle idéale (10 ans d’âge) est large et se renouvelle chaque année. Faire un jeu Pokémon « mature » (comprendre PEGI 12 ou plus) est donc exclu, car c’est se priver de cette nouvelle clientèle.
Les anciens fans se sentent donc délassés à juste titre et ne se voit proposés que des jeux mobiles chronophages (et donc addictifs par nature) qui correspondent à leur classe d’âge. Ils veulent un vent nouveau. Et dans ce désir de nouveauté, deux axes majeurs ressortent :
- Des nouvelles régions (Kanto à toutes les sauces a fini par lasser : c’est vu et revu) avec des scénarios plus profonds et matures. Beaucoup regrettent celui de la 5G.
- Une difficulté plus élevée (avec un mode hardcore en option, aka le Nuzlocke Challenge) et des combats plus stratégiques.
Ajoutons à cela le prisme des préférences individuelles de chaque fan Pokémon qui sera plus ou moins sensible à tel changement ou nouvelle fonctionnalité.
Ce prisme fait que chaque fan a ses propres idéaux. Mais ça se plaint dès que la licence officielle prend des risques, car ça ne correspond pas exactement à leurs Idéaux, et l’adage dit bien « on ne peut pas plaire à tout le monde ».
Ainsi, le serpent se mord la queue : quand la licence nous sort toujours la même soupe, le fan se plaint de l’immobilisme de Game Freak. À l’opposé, lorsqu’il y a une prise de risque de leur part (Tour des Îles au lieu des arènes en 7G, Dexit en 8G, Pokémon Unite, Pokémon Legend Arceus…), ça va se plaindre que ça ne correspond pas à leurs attentes.
Qu’est-ce que je préconise au final ?
À cela je répondrai : devenez acteur au lieu de spectateur : faites (ou rejoignez) des fan-games et exprimez artistiquement comment vous voyait votre jeu Pokémon idéal ! Ou même des jeux originaux de capture de monstres pour faire évoluer les choses ! Des concurrents comme Temtem, Nexomon ou Coromon ont franchi le pas.
Concernant les critiques subies lorsqu’un fangame sort des sentiers battus, il faut savoir passer outre et aller de l’avant : juger uniquement sur des teasers, des screenshots ou des textes est prématuré, seule l’expérience in-game sera révélatrice de la vraie qualité du jeu.
Par rapport aux Pokémon (car c’est quand même le cœur du jeu :p). Est-ce que tous les Pokémon de la série seront présents ou tu as fait des choix ? Si oui, sur quelles bases ?
Dès le début, un « Dexit » d’une moitié du Pokédex était déjà prévu : placer plus de 800 Pokémons dans une région est impossible sans sombrer dans une sensation de « quantité au détriment de la qualité » et une quête du Pokédex excessivement longue. C’est la raison pour laquelle j’ai totalement compris le choix de Game Freak lors de la sortie d’Épée et Bouclier : moi-même en tant que fan-maker, j’ai instinctivement eu la même idée en 2018 !
Cela contribue aussi à l’équilibrage du métagame (et je rejoins là aussi Game Freak sur ce point) : faire une sélection permet de mieux équilibrer la puissance de ceux qui seront présents.
Une dernière raison (qui est aussi la plus « instinctive ») est que ça me permet d’éliminer les Pokémons qui me plaisent le moins ou qui tout simplement ne sont pas adaptés au contexte spatio-temporel de mon fan-game. Par exemple, tous ceux trop « objets créés de la main de l’homme » ou nés des technologies modernes sont automatiquement refusés.
Cela ne m’empêche pas d’en repêcher certains via une pirouette scénaristique. Magnéti a par exemple une forme régionale (les aimants en « U » et vis cruciformes ne peuvent exister à Keltios), et les trois fauves Légendaires existaient déjà du temps d’AZ du fait qu’ils meurent et revivent à intervalles réguliers grâce à la réincarnation, leur réveil à Rosalia n’étant qu’une de leur énième renaissance.
Je finirai ma réponse en précisant que mon Pokédex n’est pas encore définitif. Des Fakemons ou Pokémons officiels annoncés dans les tous derniers jeux s’ajoutent régulièrement à la dernière minute. Avec la sortie d’Épée et Bouclier, j’ai ajouté une quinzaine de Pokémons de la 8G parmi mes coups de cœur alors que j’avais prévu de m’arrêter à la 6G. À la date de cette interview, le compte est à 495 (497 avec les deux nouvelles évolutions annoncées dans Legend Arceus).
Tu as également inclus des Fakemons dans le jeu (environs 15% du Pokédex de Keltios). Qu’est-ce qu’apporte cette inclusion ?
Dans « Fakemon », j’englobe quatre catégories de créatures :
- Les formes régionales, basée sur un Pokémon déjà existant.
- Les « Fake Mégas », c’est-à-dire des Méga-Évolutions ajoutées à des créatures officielles.
- Les Fakemons purs, les seules créatures qui peuvent être considérées comme 100% originales (tout le reste étant des travaux dérivés de la licence officielle, j’insiste sur ce point).
- Je rajouterai aussi les nouvelles évolutions, c’est-à-dire un stade évolutif ajouté à des créatures officielles. Je les considère comme Fakemons purs, même si c’est inspiré de la lignée originelle.
À l’origine, je n’avais prévu aucun Fakemon dans mon fan-game à l’exception du Méga Ho-Oh. Mais j’ai cédé, car ça été une demande de mon équipe.
Cela a commencé avec la folie des Fake Mégas fin 2018 avec pas moins de 40 nouvelles Mégas planifiées, un artiste nous ayant accordé l’autorisation de nous baser sur ses dizaines d’artworks.
… mais dans la candeur de mes débuts, j’ignorais tout le travail qu’il y avait entre l’artwork de la créature et la créature totalement implémentée en jeu ! Et ce sans compter l’impact que ça aurait eu sur l’équilibrage (donc le Game Design). Game Freak est déjà incapable de placer suffisament de dresseurs pour mettre en jeu les 48 Mégas existantes (ce qui en fait une exclusivité pour le joueur), alors plus de 80 Mégas… Aujourd’hui, la voilure a été beaucoup réduite et je pense m’en contenter d’une quinzaine.
Puis l’année 2019 du projet a été l’année des formes régionales avec une vingtaine en tout. Au bilan, elles m’auront apportées plus de problèmes que de bienfaits. Sans rentrer dans les détails, toutes sans exception ont été victimes de « copyright claim », ce qui a entrainé une énorme perte de temps. C’est le problème des formes régionales : leurs créateurs oublient souvent que c’est un travail dérivé de celui de Nintendo et le défendent comme si c’était une création 100% originale d’eux alors que c’est inévitable qu’il y ait des ressemblances lorsqu’un Pokémon officiel est dessiné avec un type donné.
À l’heure d’aujourd’hui, seule la moitié de ces formes régionales ont pu être redessinées par de nouveaux artistes fidèles au projet.
Du fait de cette mauvaise expérience, je privilégie maintenant les « Fakemons purs » et les nouvelles évolutions qui sont moins sujets à réclamation. Il y en a une trentaine en tout. Les Pokémons révélés à la dernière minute dans la 8G (comme Cerbyllin ou Corayon de Galar) sont aussi une bénédiction, car ça me fait des créatures « gratuites » alors que l’idée d’en faire un Fakemon me trottait déjà.
Si on fait l’addition, on comptabiliserait environ 15 nouvelles Méga, 20 formes régionales et 30 Fakemons purs. Soit un total de 65 environ, ce qui fait (presque) 15% sur un Pokédex d’actuellement 500 créatures. De quoi faire une moitié de génération.
Ça reste quand même un travail énorme car leur intégration en jeu ne demande pas moins de 3 « corps de métier » différents, donc je limite le nombre de Fakemons intégrés.
Tu parles du travail que demande l’inclusion in-game d’un Fakemon à partir d’un Artwork. Combien de temps cela peut prendre environs ?
La première étape consiste à décider du concept : son nom, son type, sur quoi on va s’inspirer et quel sera son apparence.
Cela dure en général quelques dizaines de minutes, mais ça peut s’éterniser sur plusieurs heures si ça part en débat et que personne n’arrive à se mettre d’accord.
La seconde étape consiste à donner vie au Fakemon en en faisant un art officiel.
On peut soit faire la sprite de front en pixel art (c’est le chemin facile, en une heure ça peut se faire et ça suffit pour « breveter » le concept), soit réaliser l’artwork (et là, il faut compter minimum une dizaine d’heures).
Pour ma part, je privilégie l’artwork comme base initiale car ça permet de développer pleinement son aspect artistique et d’avoir un fer de lance pour mettre en valeur le projet. Cette étape révèle du domaine du graphiste (ou du pixel artiste si on a commencé par le Pixel art).
La troisième étape consiste à donner un background au Fakemon, ce qui relève du scénariste. Le minimum requis pour le publier sur Deviantart est d’établir son type, ses stats, ses conditions d’évolution, ses données Pokédex et un paragraphe de background. C’est moi qui gère cette étape, et avec la mise en page, ça me prend 2 heures.
Mais si on veut valider à 100% cette étape, il faut aussi décider du movepool complet (CT, niveaux d’apprentissage… avec celui de type Lumière et Obscur propre à Sacred Phoenix !) Et là, ça prend au moins 3 heures, car il faut parcourir les 860 attaques qui existent. Cela relève d’un rôle de Game ou Level Designer.
La quatrième étape est de faire toutes les sprites du Fakemons (et l’artwork s’il n’a pas été fait), incluant le shiny. Et j’insiste sur « toutes », car beaucoup de makers ne font que le front, pensant que c’est suffisant. C’est le rôle du pixel artiste. Chaque Pokémon prend en moyenne 5 heures à être entièrement sprité.
(Note : idéalement, je les aurais voulues animées comme en 5G et en HD, mais comme ça demande 8 fois plus de travail, cet Idéal est abandonné pour le moment)
Enfin, l’étape finale consiste à injecter les infos du Pokémon dans la base de données et ses images dans les dossiers appropriés. L’édition de la base de données est le plus laborieux, mais ça se fait en moins d’une heure.
Quelle est la direction artistique de ces Fakemons ?
En termes de direction artistique, elle est assez restreinte : ayant une vision beaucoup « fantasy » de Pokémon que la plupart des fans, je vois mes Fakemons comme des créatures inspirées du bestiaire fantastique ou de la mythologie.
À l’inverse, les Pokémons « objets » sont très mal vus et font tache dans le contexte médiéval-fantastique de Keltios. Un Pokémon qui porte un vêtement (ou pire : qui est un objet de la vie de tous les jours) créé de la main de l’homme ne passe pas (exemple : Miasmax, Tygnon, Karaclée…), surtout qu’on tombe en plein dans le « Ta Gueule c’est Magique ». (Des débats de fans assez comiques se demandent réellement si c’est de la peau de Pokémon ces vêtements, vu qu’ils sont portés en permanence et identiques pour tout membre de la même espèce).
La seule exception, ce sont les types Spectre et à condition que l’objet en question existait déjà dans l’antiquité. La lignée Exagide, épée hantée par excellence, est un Pokémon qui a tous les honneurs à Keltios. Idem pour Lugulabre car les bougies et les lanternes existaient déjà. Les formes de Motisma, par contre, ne passent pas, puisque l’électroménager n’existe pas.
Tu as parlé à plusieurs reprises de la difficulté des jeux Pokémon. Sacred Phoenix comprend un mode Nuzlocke (qu’on ne peut que saluer :p) et des paramètres pour régler le niveau de difficulté. Comment on calibre correctement la difficulté dans un jeu Pokémon sachant qu’il y a beaucoup de variables à prendre en compte (notamment les équipes des joueurs) ?
Avant de songer à l’équilibrer, on établit les règles du jeu (aka le Game Design). Cette étape est déjà faite pour la très grande majorité des fan-games, vu que très peu de makers modifieront les règles vanilla. Et tout le monde sait qu’en vanilla, Pokémon, c’est facile (et même trivial depuis « l’Omni-Exp » apparu en 6G et qui est imposé depuis la 8G).
L’autre étape est d’ajouter ses créatures et ennemis à affronter : cette insertion ne modifie pas les règles du jeu en elles-mêmes, mais va modifier l’équilibre actuel. C’est le levier de difficulté le plus souvent utilisé dans les fan-games car à portée de tous, mais attention à ne pas mettre de Fakemons aux stats stratosphériques ou des dresseurs de haut niveau dès la route 1 : ce sont des erreurs typiques de débutant.
Une fois les règles du jeu établies et ses nouvelles créatures ajoutées, on se fait une lecture d’ensemble pour établir mentalement « la toile » des causes à effets et si ça semble équilibré. Je parle de toile, car chaque élément de gameplay a un impact (effets de rétroaction négatif ou positif) sur d’autres éléments, qui peuvent à leur tour impacter d’autres éléments par effet domino.
La Table des types est un excellent exemple : ajoutez le type Fée, ce qui a porté un énorme coup aux Dragons. Ceux-ci sont devenus moins présents dans le métagame (car désormais non viables), ce qui a porté un coup de grâce au type Glace (déjà faible de base) dont la seule utilité était de contrer les Dragons omniprésents. Sans type Glace, les types Vol et Sol (dont Démétéros omniprésent en OU) ont pris de l’ampleur et on peut encore continuer…
Donc effectivement, il y a beaucoup de variables. Mais s’il y a bien une règle d’or en équilibrage, c’est que seul des conditions réelles de jeu permettent de l’évaluer de manière fiable : l’évaluation théorique n’est jamais précise à 100%.
Par exemple, en mode normal, tuer les Pokémons adverses s’est révélé être plus fréquent que prévu en conditions réelles. Or, cela entraine une pénalité d’amitié qui à force de se cumuler devient vite handicapante.
Je me suis alors empressé de coder une mécanique qui atténue les dégâts excédentaires en cas d’amitié élevée. Les pénalités d’amitié en cas d’overkill ont aussi été abaissées de 40%.
D’une manière plus globale, il faut réussir à se mettre dans la peau du joueur : c’est l’une des difficultés les plus souvent rencontrées par les makers qui de leur point de vue de Maître du Jeu omniscient connaissent toutes les mécaniques par-cœur : le chemin optimal leur est tout naturel ! Cela amène à une difficulté très souvent sous-évaluée : le joueur découvre le jeu et ne jouera donc jamais de manière optimale.
Le Maître du jeu doit aussi batailler contre les joueurs dont l’une de leurs activités favorites est de trouver des bugs à exploiter à leur avantage. Cela peut aller d’une étourderie (par exemple un Super Bonbon récoltable à l’infini) à une exploitation d’une mécanique non anticipée. C’est de bonne guerre. Mon expérience m’a montré que tu ne peux jamais totalement colmater les brèches, tu trouveras toujours plus rusé que toi pour tricher.
Quels modes de difficultés as-tu prévus ?
Concernant Sacred Phoenix, la difficulté sera entièrement personnalisable afin de contenter tous les joueurs :
- du niveau « Casual » correspondant à un mode assisté où le jeu se parcourra sans prise de tête avec une difficulté équivalente aux jeux officiels (les mécaniques de morts seront toutes désactivées, les dresseurs de niveau plus faible, et les pénalités d’amitié minimales)
- au niveau « Enfer de Giratina » correspondant à un Nuzlocke hardcore qui en plus du Nuzlocke classique rajoutera d’autres handicaps au joueur tel que l’interdiction des objets en combat ou des dresseurs de niveau réhaussé.
- en passant par le niveau « normal » qui est l’expérience de jeu recommandée. La mort des Pokémons est possible selon un système original et réaliste basé sur l’overkill : le Pokémon succombe si le coup de grâce lui a enlevé deux fois ses PV max.
En tout, 7 presets de difficultés seront proposés avec la possibilité de personnaliser chaque paramètre.
Il y a aussi une feature unique d’amitié : elle a un impact majeur sur l’obéissance et les aptitudes en combat. Contrairement à un jeu officiel, Sacred Phoenix demandera de prendre un minimum soin de ses créatures magiques pour qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Les récompenses en valent le coup.
Avant de terminer sur les fonctionnalités : tu as inclus dans la démo « un hall de test » permettant d’essayer différentes mécaniques avancées du jeu. Le joueur peut y accéder via téléportation avec l’aide de Palkia, à la fin de la démo. Pourquoi avoir décidé de laisser la possibilité aux joueurs d’y accéder ?
Il s’agit d’une récompense pour avoir terminé la démo jouable. (Palkia attendra toujours le héros en fin de démo et signalera qu’il est arrivé au bout). Cela me permet gratuitement d’étendre la durée de jeu, intuition confirmée puisque j’ai constaté que chaque joueur y passe une demi-heure en moyenne. Bref, je ne suis nullement gêné que le joueur y ait accès, surtout à un stade précoce du développement.
Cela vous offre aussi l’opportunité de découvrir l’envers du décor, car c’est dans cette salle que tout a commencé. Non sans raison siège ici Arceus !
Sur le long terme, j’en ferai une véritable Salle Originelle avec les décors appropriés pour que ce soit un minimum « RP ». (Mais ça brisera toujours le quatrième mur^^)
Sachez que quelque part dans le Lac du Temps, il existe un accès secret au Hall de Test. C’est impossible de tomber dessus par hasard : il faut faire une action précise sur la bonne case. Palkia apparaitra alors et le félicitera d’avoir trouvé la « warp zone » puis l’invitera dans le Hall de Test si tel est son souhait.
Je mets juste en garde que pénétrer ici est considéré comme de la triche, vu les possibilités infinies que ce lieu offre au héros. (Raison pour laquelle une sauvegarde automatique est censée se faire avant le choix Oui/Non lorsqu’on ne s’y est jamais rendu).
Le Hall de test sera donc la méthode « légale » pour tricher et devrait vous permettre de faire tout ce que vous voulez. (Je préfère proposer une solution intégrée en jeu plutôt que de voir du Cheat Engine ou des bugs exploits fleurir^^).
Le jeu étant de base solo, je considère le cheat comme un moyen de personnaliser son expérience : c’est une méthode comme une autre pour profiter d’un jeu et l’apprécier pleinement, moi-même pouvant en témoigner. La seule restriction, c’est que l’usage online (s’il y a un jour de l’online) ne sera possible avec d’autres parties qui ont aussi activé le cheat.
Quand la démo sera plus conséquente (au moins 4 heures), le Palkia de fin de démo ne proposera plus la téléportation gratuite (afin d’éviter un flag accidentel de cheat sur la sauvegarde du joueur). Seul celui caché au Lac du Temps restera.
Développement du projet
Je te propose maintenant que nous abordions le développement du projet Sacred Phoenix, afin que nos lecteurs comprennent un peu mieux comment se déroule la création d’un fan-game Pokémon. Tout d’abord : question de néophyte total mais qu’est-ce que l’on utilise pour faire un jeu Pokémon ? Est-ce qu’on part de rien ou il existe aujourd’hui des outils facilitant la création de ces jeux ?
Aujourd’hui, il existe moult outils pour réaliser son fan-game, raison pour laquelle il en existe des centaines aujourd’hui.
La première vraie question à se poser, c’est : vais-je faire un fan-game sur moteur indépendant ou une hack-ROM ? Cette décision est d’une importance cruciale, car cela va délimiter vos possibilités. Au sein de la communauté des fan-games, on assiste à du 50-50 entre ces deux choix.
La hack-ROM se base sur un jeu Pokémon officiel déjà existant : il y a donc la base de données et les scripts intégralement présents et sans bug. Ainsi, une ROM-hack se développe plus vite, aidé par un fort esprit de partage au sein de la communauté. L’inconvénient majeur, c’est que comme ça doit rester compatible avec la console dont elle dépend, il y a une limite d’espace à respecter. Les éléments graphiques sont aussi limités en taille et en couleurs (mais ce n’est pas un problème si on recherche volontairement un style rétro).
Le moteur indépendant, lui, se libère totalement de ces contraintes (on peut donc utiliser des textures HD sans limite de palette ou faire des mises en scène complexes), mais il demande de solides connaissances en codage. C’est pour cela qu’il existe des starters kits : des jeux Pokémon préprogrammés et prêts à l’emploi. Ils sont tous basés sur le moteur RPG Maker XP, le plus connu d’entre eux étant Pokémon Essentials. L’inconvénient, c’est que la base de données et les mécaniques de combat peuvent comporter des bugs et que ça demande une puissance de calcul supérieure qu’avec une ROM-hack émulée.
Bien entendu, les projets les plus ambitieux peuvent se lancer sur un codage fait de zéro au sein d’un moteur de jeu indépendant. C’est le souhait de Sacred Phoenix qui devait initialement être développé sur Godot ; mais par manque de personnes compétentes en codage, je me contente du starter kit PDSK pour le moment. Dans tous les cas, un développement sur ROM-hack était exclu du fait de nombreuses mécaniques qui seront personnalisées dans mon projet. J’avais donc besoin d’un maximum de liberté.
Si vous choisissez de faire une Hack-ROM, choisissez votre génération de départ (la plus fréquente est la 3G qui n’utilise que de la 2D et qui est considérée comme étant la plus stable, les jeux 4G+ requérant la maitrise de la 3D). Il y a 5 ans, le ROM-hacking était difficilement accessible et demandait des solides connaissances en désassemblage. Aujourd’hui, il existe des logiciels du même style que RPG Maker pour pouvoir tout paramétrer à travers une interface utilisateur.
Tout le monde peut-il réaliser un fan-game ?
Oui, tout le monde peut réaliser un fan-game. Grâce aux outils existants, il est tout à fait possible de réaliser un jeu complet en se contentant des ressources fournies au départ. Certes, vous n’aurez aucun Fakemon et serez restreint à une mise en scène basique, des menus génériques, des apparences de dresseurs et des éléments de map issus de jeux officiels, mais vous aurez une totale liberté pour l’implémentation de votre scénario, les Pokémons et dresseurs qui pourront être rencontrés et la manière donc vous agencerez vos cartes.
Les seules compétences obligatoires, ce sont celles de scénariste (tout le monde sait écrire et raconter une histoire), celles de mapping (créer une map à partir d’éléments de décors prédéfinis) et la maitrise de « l’évent-making » (l’implémentation des PNJs et éléments interactifs sur les maps). Les deux derniers points se font souvent avec un logiciel dédié (RPG Maker XP pour l’utilisation d’un starter kit), logiciel qu’il faudra donc comprendre et maitriser.
Si vous souhaitez créer vos propres ressources et obtenir un fan-game vraiment unique, il faudra maitriser en plus les compétences correspondantes (ou recruter quelqu’un qui les a) :
- Des programmeurs (langage Ruby pour RPG Maker XP) pour coder de nouvelles fonctionnalités.
- Des pixels artistes pour ajouter des éléments de pixel art, que ce soit des sprites de Fakemons, des UI en pixel art ou des tiles (carreaux de map).
- Des game designers qui se chargeront de veiller à l’équilibrage de vos Fakemons (si vous en implémentez) ou des nouvelles fonctionnalités intégrées (si vous en rajoutez).
- Des infographistes pour illustrer votre univers de merveilleux artworks ou d’éléments d’interface en artwork.
- Des musiciens pour avoir vos propres thèmes sonores
- Un community manager pour gérer votre équipe et la communication publique.
Le chef du projet peut bien entendu prendre plusieurs de ces casquettes ou les déléguer partiellement ou totalement.
Tout ceci augmentera la difficulté et le temps nécessaire pour mener votre projet jusqu’au bout : à vous de bien jauger vos ambitions en fonction de vos compétences !
Combien de temps ça prends de faire un fan-game ?
Sachez qu’il y a beaucoup de candidats, mais peu d’élus. Beaucoup de fans rêvent de se lancer dans leur projet, mais c’est quelque chose qui demande un investissement de très long terme : on parle de minimum 2 ans pour les projets les moins ambitieux, mais la moyenne réelle se situe entre 5 et 10 ans de développement.
Pour vous donner une idée, lorsqu’un fan a une idée de scénario et exprime par écrit le vœu d’en faire un jeu Pokémon, 90% d’entre eux abandonnent au premier mois lorsqu’il est temps de rendre son idée concrète à travers les logiciels de making. Si ce point de blocage est franchi, il y a encore 90% d’abandon avant les 6 mois.
Après, qui ne tente rien n’a rien. Comme le dit la pub, 100% des gagnants du loto ont joué au loto : il faut donc faire le premier pas. Les 6 mois sont d’ailleurs un milestone, car ça correspond en général à la première (courte) démo jouable. En voyant cette première démo, le maker commence à se dire que son rêve peut se réaliser et qu’il ne peut gâcher tout le temps déjà investi.
Tu parles du nombre d’années à consacrer au projet. Mais sur l’échelle d’une semaine par exemple, combien d’heures tu dois consacrer à Sacred Phoenix environ ?
Cela est variable et irrégulier : cela dépend principalement de ma motivation.
En moyenne, je tourne autour de 25 heures par semaine. Il n’y a pas vraiment d’emploi du temps, de jour ou d’heures de travail. Ça se fait au feeling, quand l’envie est là. Quand je suis hyper motivé, je peux partir en crunch avec des pics à 12 heures par jour et 60 heures par semaine. Quand je ne suis pas motivé ou face à une tâche qui ne me m’inspire pas (et que je n’ai pas réussi à déléguer), ça peut tomber à 7 heures par semaine. Du fait de cette organisation, mon plus grand ennemi est la dispersion, surtout qu’il est très tentant d’aller fureter ailleurs sur son navigateur Internet lorsqu’on travaille exclusivement en multimédia.
Quoi qu’il en soit, la gestion d’équipe (l’aspect Community manager) me prend minimum 1 heure par jour. Ce rôle qui incombe au chef de projet (ou à un bras droit qui connait parfaitement l’esprit du jeu) consiste à organiser (et inspirer) son équipe, guider la direction artistique et centraliser le travail fourni ensemble.
Je suis aussi présent dans deux autres projets : un très peu actif et un autre très récent qui est aussi ambitieux que le mien et se déroule presque à la même époque que Keltios. J’y consacre une moyenne de 8 heures par semaine, temps qui se fait au détriment de mon propre projet, mais qui en échange offrent des opportunités sociales (se faire de nouveaux amis ou pouvoir se partager des ressources).
Au final, c’est pour moi une activité de temps plein, conscient du privilège que j’ai de n’être pas tenu IRL de chercher un emploi.
Cette aussi cette « chance » qui a fait que j’ai pu me lancer dans un projet aussi ambitieux que Sacred Phoenix : si j’avais une vie sociale IRL remplie (boulot-métro-dodo), je n’aurai jamais pu dégager assez de temps libre pour avancer de manière significative sur Sacred Phoenix et ma motivation aurait fini par lâcher du fait que mon Idéal aurait été irréalisable. (RIP Reshiram.)
A propos de l’ambition de Sacred Phoenix, dans ta communication autour du développement du projet, tu distingues ce qui relève de l’Idéal et de la Réalité (en faisant ainsi une référence à Pokémon Noir et Blanc). Par rapport aux débuts du projet, est-ce que tu as revu tes objectifs à la baisse ou au contraire l’« idéal » reste un objectif à atteindre qui oriente le développement ?
Certaines ambitions ont été revues à la baisse, mais la majorité ont été maintenues.
Parmi celles maintenues, il y a celui de remplacer le système de PP par le Souffle et le Mana, le système de craft (qui fait partie intégrante du gameplay), la difficulté personnalisable et les terrains de combat. Des fondations sont souvent déjà codées, mais je n’ai pas les compétences pour aller jusqu’au bout, notamment la programmation des interfaces.
Parmi celles déjà réalisées (et c’est un exploit vu la petite équipe que nous sommes), il y a les mécaniques de mort réaliste et d’amitié. Ce sont deux features qui rendent Sacred Phoenix vraiment unique.
D’autres ont dû être rééquilibrées ou peaufinées, car l’expérience acquise durant les trois années de développement m’ont appris que ça n’aurait pas forcément un impact positif pour le jeu. Il s’agit d’un ajustement, l’Idéal en lui-même étant maintenu.
Enfin, parmi les ambitions qui seront probablement revues à la baisse, il y a le fait de développer le jeu en HD : Pokémon Xenoverse est à ce jour le seul à l’avoir fait grâce à une équipe de 15 personnes. Sur Sacred Phoenix, nous ne sommes pas assez nombreux : l’équipe actuelle ne comporte que 4 membres actifs + 2 “Aspirants Phoenix” encore en formation, ce qui est insuffisant comparé à l’ambition du projet.
Résultat : je suis à ce jour dans l’incapacité de basculer mon jeu en HD (faute de codeurs pour recoder toutes les interfaces), sans compter le temps astronomique qu’il faudra pour doubler la résolution de tous les éléments graphiques en pixel art. Inutile de préciser que changer de moteur de jeu m’est hors de portée alors que c’est l’un de mes Idéaux qui me tient le plus à cœur.
Cela entraine aussi pour moi une grande difficulté à déléguer les tâches. Je dois donc endosser de nombreuses casquettes à la fois, ce qui ralentit le développement.
L’importance, c’est de savoir se montrer flexible et adapter ses objectifs en fonction des compétences et du temps à notre disposition. Si nous réussissons à recruter plus de monde, les objectifs qui ont été mis de côté pourront redevenir à l’ordre du jour.
Comment ça se passe pour faire les maps du jeu ?
Pour Pokémon Sacred Phoenix, j’ai choisi de faire mes maps selon la technique du « Terraforming » (ou terraformation) en suivant scrupuleusement le relief établi sur ma Worldmap. Cela ravit les fans de Minecraft et ça permet d’offrir à Keltios des environnements organiques au relief réaliste.
Hérésie aux yeux de ceux qui prônent le mapping parfaitement carré et aligné tel qu’on le voyait dans les jeux des deux premières générations, je prends le contrepied de ce dogme et offre un environnement où chaque route, chaque colline, chaque forêt sont uniques et marqueront l’esprit du joueur ! De plus, ce style de mapping sied à merveille au contexte antique de Keltios : les zones sont sauvages et les humains de l’époque préféraient clairement s’adapter à leur environnement plutôt que le modeler à leur image. Ainsi, les routes suivent les lignes du relief et les villes se forment souvent autour d’un point d’eau.
La terraformation me permet aussi d’avoir une parfaite continuité entre toutes les maps. Il n’existe pas une seule zone morte et ça me permettra à terme d’implémenter le Grand Envol, c’est-à-dire la possibilité de librement survoler tout le royaume de Keltios.
C’est une belle vision qui inspire à l’exploration ! Mais niveau software, arrives-tu à faire de cette vision une réalité ?
Niveau software, j’utilise comme la grande majorité des makers l’outil intégré à RPG Maker XP. Il faut savoir qu’à la date de sortie de ce logiciel (2003), 3 couches de mapping était une innovation plus que saluée ! (La norme était 2 : c’est d’ailleurs la limite sur les ROM-hacks de 3ème génération.) Ça gère aussi les autotiles avec possibilité de faire des chemins d’une case de large ou même d’une case isolée. Copier-coller un morceau de carte est aussi très facile à partir du moment où c’est le même tileset qui est utilisé. Cela me permet de travailler sur « une map maîtresse » puis de dupliquer les parcelles correspondantes sur chaque map individuelle (celles réellement utilisées dans le jeu).
Les seuls points faibles de l’éditeur de RPG Maker XP sont :
- Une limite software d’un tileset par map et de taille 32768×256, soit 8192 tiles. (Il est néanmoins possible et même recommandé d’utiliser un même tileset pour plusieurs maps.) La limite théorique est de 65356 pixels de hauteur, mais il y un bug de scrolling qui décourage clairement de faire des tilesets plus gros.
- 7 autotiles animées qu’on peut lier au maximum sur chaque tileset.
- Maximum 7 actions qui peuvent être annulées, et impossible de rétablir si on a annulé par erreur. L’historique est aussi perdu si on change de map.
- La limite des 3 couches (Ce n’est pas assez pour moi vu que je pousse mon mapping sur ses derniers retranchements.)
J’ai testé Tiled qui m’a été recommandé par certains makers. Ce logiciel a l’avantage de permettre un nombre de couches illimitées, mais ça devient un véritable chemin de croix dès qu’il faut convertir la map du format Tiled au format RPG Maker XP. Bien que j’aie donné ma chance à ce logiciel, je préfère clairement rester fidèle à RPG Maker, même si ça me coûte un long prémapping* sur mes tilesets.
* Prémapping : dupliquer et fusionner plusieurs tiles pour les combiner en une seule sur son tileset, par exemple le pied d’un arbre avec chacune des textures de sol utilisées. Cela permet de virtuellement dépasser la limite des 3 couches, mais ça alourdit le tileset.
Corrige-moi si je me trompe, mais toutes les ressources créées par l’équipe de Sacred Phoenix est Open-source donc libre d’utilisation pour d’autres projets. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Les raisons sont multiples :
Rendre service à la communauté
C’est la raison la plus naturelle. Les fan-games ont pu se développer grâce aux ressources partagées par ceux qui nous ont précédés. C’est une manière de leur rendre l’ascenseur et de léguer un héritage aux suivants. Ça encourage aussi une amélioration perpétuelle : on utilise ce qui existe déjà pour le transformer et en faire quelque chose de meilleur.
Sans cet esprit de partage, tout le monde aurait perdu du temps à « réinventer la roue » et aucun projet n’aurait pu émerger.
Garantir la pérennité de la création artistique :
Un fan-game qui garde privé ses ressources entrainera tout son travail artistique dans sa chute… et quand on sait que plus de 99% des projets avortent, c’est un monumental gâchis de temps et de compétences ! Il n’y a qu’à voir ce que j’appelle « le cimetière des Fakemons » : des centaines de concepts que plus personne n’aura jamais le droit d’utiliser, car le projet pour lequel ils ont été créé n’existe plus.
Travailler pour un fan-game libre, c’est garantir la pérennité de la création artistique : les artistes ont l’assurance que leurs œuvres pourront être utilisées dans un autre projet (incluant le leur) ; et ce même si Sacred Phoenix venait à être abandonné (ce que je n’espère pas).
Permettre de mutuellement nous améliorer au sein de l’équipe
Nos créations artistiques étant mises en commun au sein du projet, ça nous permet de se les améliorer mutuellement (le droit d’éditer va de pair avec celui du libre partage). Autre effet positif : l’artiste qui voit son travail amélioré par un collège peut en prendre de la graine et ainsi améliorer son niveau.
Encourager l’expression artistique et le fan-art
Du fait que tout soit libre de droit, n’importe quel artiste peut faire un fan-art : ça contribue à renforcer la direction artistique du projet, donc on n’y voit que du bon. Il verra son travail être mis en valeur dans la communication officielle du projet, voire même être intégré officiellement dans le jeu si c’est un coup de cœur !
La seule chose qu’on demande en retour, c’est que tout travail dérivé soit aussi sous la même licence copyleft (aka « Share alike ») afin de maintenir ce lien de partage.
Annoncer à The Pokémon Company (l’ayant droit originel) que ça serait un honneur pour nous s’il adopte nos créations de fans.
Voir une création « fanon » être officiellement intégrée dans le « canon » représente la reconnaissance ultime pour un fan, car ça signifie que son travail est apprécié et reconnu par l’ayant droit originel. En mettant Sacred Phoenix en libre de droit, c’est une manière pour nous de signifier à TPC qu’il peut librement intégrer notre univers dans le leur ou l’inclure dans des produits officiels (et pourquoi pas nous offrir un voyage au Japon^^). La seule chose demandée en retour, c’est le respect de notre droit moral, c’est-à-dire d’être crédité.
La philosophie du lâcher-prise et considérer le fait d’être copié comme un honneur et non un affront :
Enfin, ça permet de se dispenser d’avoir à faire « la police du copyright ». Je connais des gens qui dépensent une énergie folle à surveiller qu’absolument personne ne s’inspire trop d’eux, énergie qui aurait pu être consacrée à de la création artistique. Si les ressources de Sacred Phoenix sont copiées, c’est un signe qu’elles plaisent et que leur qualité artistique est reconnue.
Thunungu m’a dit avec cette philosophie, j’aurai été accueilli à bras ouverts dans le monde du ROM-hacking car le libre partage est justement leur crédo. Les communautés anglaises apprécient aussi cette philosophie, notamment Relic Castle à travers des Game Jams mettant en valeur des ressources libre de droit.
Pas de chance, c’est tout l’opposé de la communauté française qui préconise et encourage un contrôle strict du copyright. Cela entraine des difficultés pour trouver des artistes qui adhèrent à la philosophie du projet et ne revendiquent pas un retrait de leurs droits accordés avec effet rétroactif dès le moindre désaccord. Beaucoup oublient que sans les ressources libres de droit laissées à disposition par les précédents makers, jamais leur jeu n’aurait pu voir le jour.
Merci pour toutes ces informations concernant le développement d’un fan-game Pokémon. Pour conclure cette partie de l’entretien, est-ce que tu aurais un (ou des) conseil(s) à donner à quelqu’un qui se lancerait aujourd’hui dans le développement d’un projet de fan-game Pokémon ? Des écueils à éviter ou des bonnes pratiques à adopter ?
Le premier conseil que je vous donnerai, c’est de vous assurer d’avoir suffisamment de temps libre pour vous lancer dans un tel projet. Comme dit à plusieurs reprises, c’est un projet de long terme qui se mesure en années. Lorsque l’aspirant maker se rend compte du travail et du temps que ça va demander, on assiste à des abandons massifs. L’exemple typique est le jeune qui se lance dans l’aventure aux vacances scolaires mais désenchante vite dès que c’est la rentrée.
Ainsi, pour une première expérience ou si votre temps est limité, je vous conseille vivement de rejoindre un projet existant plutôt que de vous lancer directement sur le vôtre : l’union fait la force ! Je sais que vous rêvez tous d’avoir un jeu Pokémon né de votre sang, mais cela divise les forces au point qu’on se retrouve avec 4 chefs de projet pour 1 candidat. La majorité se retrouve donc à devoir développer en solo avec de très forts taux d’abandon.
Si vous avez été convaincu de vous lancer en tant que candidat, attendez-vous à être recruté en moins de 24 heures. Vous serez souvent spécialisé sur un rôle et pourrez donc exceller sur celui-ci. Notez que les projets ambitieux ou avancés acceptent rarement les débutants et demanderont une preuve de vos compétences.
Si votre choix définitif est de vous lancer en tant que chef de projet, bienvenue dans l’arène ! Comme dit ci-dessus, la compétition pour attirer du monde est féroce (4 recruteurs pour 1 candidat disponible). Votre fan-game devra se démarquer des projets déjà en place avant vous, ce qui est quasi mission impossible pour un débutant.
Pour y survivre, tentez de recruter « hors des sentiers battus » sur des communautés pas forcément liées aux fan-games. Pour limiter les écueils du recrutement, sachez que les Hack-ROMs requièrent moins de monde pour être menées jusqu’au bout : 75% d’entre elles sont faites seul ou en duo alors que les projets sur moteur indépendant demandent une logistique plus importante (5 personnes en moyenne, mais ça monte à plus de 10 pour les projets les plus ambitieux).
Maîtriser l’anglais est aussi un atout considérable, car la communauté outre-Atlantique (représentée par Pokecommunity et Relic Castle) est beaucoup plus bienveillante envers les débutants et reconnait le potentiel symbiotique entre Hacks-ROMs et jeux sur moteur indépendant. Si vous devez présenter votre projet, c’est là-bas que je vous conseille de le faire.
Enfin, vivez cette aventure comme un hobby et une simple passion. Beaucoup de gens prennent cela trop au sérieux comme si leur vie en dépendait alors qu’il n’y a aucun enjeu financier.
Gestion de projet d’un fan-game Pokémon
Ça nous fait une magnifique transition vers la prochaine partie de notre entretien qui concerne la gestion de projet ! Comme tu l’as rappelé à plusieurs reprises, Sacred Phoenix c’est aussi une équipe de plusieurs personnes (dont Thunungu que nous saluons !) qui contribuent de manière permanente ou temporaire au projet. Tu parlais des difficultés de recrutement (trop de demandes pour peu d’offres de candidats) et je me demandais justement quelles sont les compétences les plus recherchées et difficiles à recruter ? Développeur ? Pixel-artiste ? Scénariste ?
Tout comme dans le monde du travail, les différentes compétences seront en effet plus ou moins recherchées selon la règle de l’offre et de la demande. Voici la liste des compétences recherchées. Elle ne concerne que les jeux développés en 2D, soit la très grande majorité des fan-games.
- Scénariste : Il est de coutume que tout le monde sait écrire. Le scénariste est donc le rôle le moins demandé. Les rares fois où ce poste sera proposé, ça sera souvent pour de l’écriture de quête secondaires, du lore de Fakemon ou pour participer au brainstorming de l’intrigue. Ne pas oublier que scénario est l’essence même du projet : rares sont les chefs à déléguer cette tâche.
- Mappeur (Level Designer) : Dans une moindre mesure que le scénariste, le mapping est un rôle rarement délégué (et donc recherché). Dans la grande majorité des projets, une seule personne gère ce poste afin de garantir un style homogène sur les maps réalisées. Un mappeur peut éventuellement être recruté en tant que Level Designer afin de brainstormer sur le choix et la disposition des éléments au sein des maps et ainsi épargner cette phrase de réflexion au mappeur attitré (Note : j’inclus le rôle d’Event-maker dans celui de mappeur, car ces deux tâches se font sur le même logiciel et vont souvent de pair.)
- Community Manager : Il se charge de gérer la communication officielle du projet et d’optimiser le travail entre les membres de l’équipe. Poste rarement proposé à un recrutement ouvert, car le chef ne délègue ce rôle que si son projet prend une certaine ampleur ; et s’il le fait, ça sera envers une personne qui aura son entière confiance.
- Infographiste : Poste souvent demandé dans les projets ambitieux qui cherchent à illustrer leur univers par des artworks et ainsi montrer sa beauté. Rarement demandé dans les projets plus modestes ou sur une hack-ROM, car le pixel art prévaut. Les candidats infographistes sont assez courants, mais rares sont ceux réellement talentueux.
- Pixel artiste : Poste qui a la plus forte demande, mais aussi la plus forte offre (après celui de scénariste). C’est une compétence incontournable pour tout projet qui souhaite ajouter des Battlers, Overworlds ou Fakemons(*). Sans Pixel artiste, il est impossible d’intégrer des ressources originales.
- Tile maker : Sous-catégorie du pixel-art, il s’agit d’un Pixel artiste spécialisé dans la création de cases de map (tiles). Poste assez rare, car la plupart des chefs de projet trouvent leur bonheur sur les tiles libres de droit laissées à disposition sur le Web. Ce n’est absolument pas le cas de Pokémon Sacred Phoenix qui du fait de son époque antique-médiévale a un énorme besoin en tiles originales.
- Animateur 2D : Autre sous-catégorie du pixel-art, il s’agit d’un Pixel artiste spécialisé dans l’animation des sprites. Rarement recherché et présent que dans les gros projets, car demande énormément de travail.
- UI Designer : Sous-catégorie du pixel-art ou de l’infographie selon les ressources graphiques mises en oeuvres. Ce rôle consiste à dessiner et agencer les interfaces du jeu. Un codeur est indispensable en post-production pour que ces éléments prennent vie au sein du jeu.
- Musicien : Rôle assez singulier, car la majorité des projets Pokémon se contentent des musiques officielles de la licence, de remix déjà existants ou de thèmes d’autres licences. C’est donc un poste rarement proposé en public, mais une candidature spontanée en tant que musicien sera souvent acceptée au sein d’un projet : aucun chef de projet ne refusera la possibilité d’avoir une OST originale !
- Stratège (aka Game Designer) : Le stratège a en général la tâche d’établir les stats des Fakemons, Pokémons sauvages rencontrés et équipes des dresseurs qui s’opposeront à l’avancée du joueur, puis de vérifier si l’ensemble forme un métagame équilibré. S’il y a des nouvelles mécaniques implémentées, c’est aussi lui qui décidera de leur fonctionnement. C’est un rôle qui ne s’improvise pas, d’où beaucoup de fan-games qui ont des problèmes d’équilibrage.
- Programmeur : Le poste où il y a le plus faible ratio d’offre/demande est sans conteste celui de codeur. Pas parce qu’ils sont rares, mais parce que les starters kits basés sur RPG Maker XP (soit quasiment tous les fan-games sur moteur indépendant) sont basés sur le Ruby qui est un langage rarement étudié en école de programmation. Quant aux hack-ROMs, c’est sur un langage compilé datant des années 2000 auquel il faudra s’initier. Et si par chance vous recrutez un programmeur, il lui faudra une période de rodage le temps de comprendre comment sont organisés les scripts de votre moteur de jeu. Or, la programmation est une tâche incontournable dès qu’il s’agit d’implémenter de nouvelles fonctionnalités.
Voilà pour la liste des rôles endossables sur un fan-game !
(*)
– Battler : sprite des dresseurs qui est utilisé en combat. C’est en pixel art dans le style 1G-5G, en artwork en 6G-7G et en full 3D depuis la 8G.
– Overworld : vue aérienne d’un personnage ou d’un monstre tel qu’il apparaitra sur la map. Il s’agit d’une spritesheet de 4×4 : 4 frames d’animation pour chacune des 4 directions.
– Fakemon (sprites) : il est ici question des sprites nécessaires. Il faut au minimum un sprite de front (vue de devant), un sprite de back (vue de derrière), un overworld et une icône pour pouvoir l’intégrer dans un fan-game. La version shiny ne doit pas être oubliée. L’animation des fronts et backs dans le style 5G donne un cachet supplémentaire non négligeable, mais triple le temps de travail nécessaire pour la création de la ressource.
Un dernier conseil à donner pour le recrutement ?
Si vous recrutez, ne négligez pas l’aspect qualitatif. Les gens réellement talentueux sont rares : les recruter relève presque du miracle ! En désespoir de cause, beaucoup de chefs débutants sont prêts à accepter n’importe qui.
Aussi, n’oubliez pas que recruter un débutant sera synonyme de temps à lui consacrer si son niveau ou son style contraste avec celui de votre projet. À vous d’estimer si cela vaut le coup. Si vous acceptez de lui donner sa chance et de le prendre sous votre aile, il vous sera plus loyal en général.
C’est une question très générale mais comment vous vous organisez pour vous répartir les tâches ?
En tant que chef de projet, je centralise toutes les tâches car je suis la seule personne à savoir quel cap faire prendre au navire.
Concernant la répartition des tâches, Eysselia a pris sous son aile quasiment tout l’aspect infographie et me permet de me concentrer sur d’autres points. Parallèlement, un nouvelle recrue est actuellement en cours de rodage. J’espère que ses œuvres pourront bientôt rejoindre le « Hall of fame » de Sacred Phoenix qu’est le compte Deviantart (et soulager ainsi Eysselia qui est toute seule sur ce poste).
Autre pan qui a pu être délégué : la musique. Pipevanes est le musicien attitré du projet. Son talent est sous-coté et c’est un excellent interpréteur (= la réalisation de remix), mais il ne sait pas composer (= créer des mélodies originales). Par chance, c’est des remix que je recherche principalement. Je le guide dans l’aspect technique et la direction artistique (niveau et ambiance sonore à adopter, qualité d’échantillonnage, instruments conseillés…) et gère la phrase d’implémentation finale, mais c’est lui qui fait quasiment tout.
Le pixel art est quant à lui délégué en bonne partie à deux pixels artistes : Thunungu et notre aspirant Phénix Dracoyan. Cela n’empêche pas que je doive souvent faire des corrections de dernière minute sur le travail qui m’est donné et prendre sur mes épaules la création de presque toutes les tiles. Mine de rien, voir nos Fakemons ou personnages être spritées par quelqu’un autre est une libération : je ne compte pas le nombre d’artworks qui n’avaient aucun sprite !
Concernant l’aspect communication, j’aimerai bien pouvoir le déléguer, car c’est un poste assez chronophage. Thunungu m’aide un peu.
Enfin, les aspects mapping, script, level design et game design sont exclusivement gérés par moi au jour d’aujourd’hui, bien que ça me soulagerait de pouvoir déléguer la création (+ l’animation) de tiles ainsi que le codage.
Une fois le travail réalisé, comment est-il intégré au jeu ?
Durant la conception d’une œuvre, il est conseillé de montrer à l’équipe le « WIP » de son travail. Cela permet de s’assurer que la direction artistique est respectée et d’éviter de poursuivre sur une fausse route si ce n’est pas le cas.
Une fois la ressource artistique terminée, elle passe par une phrase de « quality check ». Cela permet de s’assurer :
- Que sur le fond, l’œuvre est conforme à la direction artistique du projet, ou du moins suffisamment proche. Il y en en effet une tolérance, car chaque artiste possède sa propre signature artistique. De plus, forcer un coéquipier à adopter un style qui ne lui est pas naturel diminue sa motivation et sa productivité. Un compromis est donc établi afin d’avoir un style relativement homogène sur le projet tout en laissant suffisamment de liberté à l’artiste pour qu’il y trouve son plaisir.
- Que sur la forme, l’œuvre est de qualité suffisante. Depuis une bonne année, Eysselia est au top et maitrise parfaitement l’aspect qualitatif. La question est par contre plus que brûlante lorsqu’un artiste débutant rejoint le projet. Tant qu’il n’a pas encore le niveau, son travail est la plupart du temps corrigé ou repris par Eysselia, Thunungu ou moi selon le type d’art. C’est ainsi que nous avons quelques Fakemons qui ont été artworkés par Eysselia ou moi à partir des brouillons d’un autre membre de l’équipe… d’où l’importance crucial de la clause permettant de modifier (et donc d’améliorer) le travail d’un collègue au sein de l’équipe.
Enfin vient l’implémentation finale. Quasiment réalisée que par moi, cette phase consiste à redimensionner, renommer et/ou redécouper l’œuvre afin qu’elle soit au bon format pour le jeu.
S’il s’agit de scripts, je m’occupe personnellement de les tester de fond en comble. Les rares scriptés faits par autrui n’étant jamais exempts de bugs (c’est très rare de réussir du premier coup en codage), ça prend un temps considérable. (On dit que la programmation, c’est 20% d’écriture de code contre 80% de débogage.)
Est-ce que tu effectues l’essentiel du travail sur Sacred Phoenix ?
En effet, environ 40-45% du travail réalisé sur Pokémon Sacred Phoenix provient de moi. La difficulté de recrutement et les défections font que j’ai dû plus ou moins endosser toutes les casquettes. C’est notamment de la programmation qui est la compétence la plus difficile à trouver. À la base, je détestais ça et c’était la dernière chose que je voulais toucher. Mais étant quelque chose d’indispensable à la réalisation de mes les Idéaux, j’ai dû prendre le Tauros par les cornes et apprendre moi-même à coder.
Avec le recul, je ne regrette absolument pas l’expérience que j’ai pu acquérir, même si ce temps d’apprentissage a coûté de nombreux mois au projet. Un leader qui maitriser un minimum tous les domaines de la création d’un fan-game est un atout indéniable, car il saura dire si le travail de chaque membre de son équipe est de qualité.
À terme, j’espère quand même pouvoir déléguer un peu plus.
Est-ce qu’il arrive que des membres de l’équipe aient des visions différentes de la tienne ? Comment gères-tu ce genre de situation ?
Cela arrive occasionnellement. Lorsque ça se produit, c’est principalement dans le domaine de l’artwork pour des histoires de proportions ou d’éléments corporels/vestimentaires ne correspondant pas à ma vision du Fakemon ou du PNJ. Dans ce cas-là, l’objectif est de trouver un consensus ou juste milieu. Il est important que l’artiste trouve son inspiration tout en étant suffisamment dans l’esprit du projet.
Lorsque le désaccord se produit en pixel art, reprendre et améliorer le travail du collègue est la solution privilégiée, car ça donne un résultat positif dans presque tous les cas (et c’est plus rapide de prendre soi-même le Tauros par les cornes lorsqu’il s’agit des corrections mineures).
Sur le domaine de la musique, Pipevanes a très bien saisi l’ambiance de Sacred Phoenix. Depuis un an, quasiment tout son travail est validé du premier coup. Il prend aussi souvent l’initiative de m’envoyer deux versions pour que je choisisse celle qui me plait le plus.
Sur les autres pans, je n’ai pas mémoire de désaccords : l’avantage de gérer seul beaucoup de domaines, c’est que ça correspond forcément à la vision du projet. Encore faut-il que j’aie les compétences pour atteindre mon idéal.
Parallèlement, il y a ce que j’appelle « le joker du vote du public » : Lorsqu’il y a hésitation sur une décision à prendre (le plus souvent parce que je n’arrive pas à me décider entre deux versions ou idées qui me sont proposées, mais ça peut être aussi à l’initiative d’un artiste), l’avis des membres de l’équipe est demandé en interne. Cela permet à chacun d’exprimer ses préférences, suggestions ou arguments, puis me revient le rôle de prendre la décision finale. Plus occasionnellement, un tel débat peut être lancé sur les salons publiques afin d’avoir l’avis de plus de monde.
Pour terminer sur cette partie dédiée à la gestion de projet, est-ce que tu peux nous donner ton retour d’expérience sur les outils que tu utilises pour organiser tout ça ? Il me semble que tu utilises à la fois Discord, le Forum de Sacred Phoenix ainsi que Trello (qui est un logiciel qui aide à la répartition des tâches en groupe).
Pour la très grande majorité des fan-games créé sur moteur indépendant, l’outil clé est RPG Maker XP. À lui seul, il permet de faire 50% du travail : le mapping et l’évent-making. RPG Maker a ses petites spécificités qu’il faut connaitre si on veut pousser l’évent-making dans ses derniers retranchements. Un débutant qui fait des mises en scène basiques trouvera tout à fait son bonheur avec les commandes de bases. Mais Sacred Phoenix étant ambitieux, mes évents utilisent de plus en plus de commandes scriptées personnalisées.
Pour le script, j’utilise le logiciel libre Notepad++. Travaillant (pour le moment) en solo, je n’utilise pas de logiciel de centralisation de type Git ou Sync. Pour vous donner une idée du travail déjà accompli, Sacred Phoenix intègre plus de 200 scripts personnalisés (pour 550 scripts vanilla).
Niveau base de données, mon starter kit a un éditeur dédié, mais il manque d’ergonomie. J’ai donc commencé à réécrire à ma façon certaines bases de données sur des fichiers scripts Ruby, à l’ancienne. Au moins, je peux abuser du [Ctrl] + [H] (le raccourci pour la commande « remplacer ») et structurer les bases de données avec les informations dont j’aurai réellement besoin. Peut-être me direz-vous que je réinvente la roue, mais j’ai prévu de réviser beaucoup d’éléments totémiques du gameplay Pokémon. Un exemple parlant est le système de Souffle et Mana prévu pour mes capacités : l’éditeur intégré n’étant conçu que pour renseigner une valeur de PP, je dois donc le court-circuiter d’une manière ou d’une autre, ce qui requiert inévitablement l’écriture de scripts.
Concernant le dessin (pixel art et artwork), j’utilise Paint.NET, logiciel gratuit qui est souvent sous-estimé. Il est notamment très bien adapté au pixel art lorsqu’on désactive toutes les options de lissage.
Quant à Trello et le forum, ce sont actuellement des outils secondaires faute d’avoir une grande équipe.
Je rajouterai que Sacred Phoenix a un site officiel et que la grande majorité de la communication publique a lieu sur Deviantart. Cela permet d’offrir au public un accès et une visibilité sur le projet sans à avoir besoin d’être inscrit sur un site.
Le futur de Sacred Phoenix
Nous arrivons bientôt à la fin de cet entretien. Celui-ci a permis d’aborder grand nombre de points concernant ton projet Sacred Phoenix, ainsi que la création d’un fan-game en général. Nos lecteurs auront ainsi une meilleure vision du travail que cela représente et j’en profite pour te remercier de tes réponses très complètes sur le sujet !
Néanmoins, il est temps d’aborder le futur du projet et comment tu envisages celui-ci. Tout d’abord, car c’est un point important concernant les fan-games : est-ce que tu crains les risques juridiques par rapport à ton projet ?
Les risques sur le plan judiciaire ne se manifestent que pour les projets de grande envergure qui dépassent le million de téléchargement. À ce jour, The Pokémon Compagny n’a « copyright strike » qu’à trois reprises dans la communauté du fan-game :
- Pokémon Uranium (fan-game sur Pokémon Essentials) en août 2016 après 1,5M téléchargements en 2 semaines.
- Pokémon Prism (hack-ROM 2G) en septembre 2016
- Pokémon Essentials (moteur de jeu) en 2018
Uranium et Prism ont commis tout deux 2 erreurs majeures
- Teaser et sortir leur jeu en même temps que Soleil et Lune, faisant ainsi de l’ombre à la communication officielle.
- Mais surtout mettre un lien sponsorisé de type « adfly » en guise de téléchargement officiel.
Cela a attiré l’ire du bureau américain de The Pokémon Compagny qui a envoyé son « cease and desist » pour contraindre à l’abandon des projets… mais le phénix renaît toujours de ses cendres : à chaque fois, une nouvelle équipe a pu reprendre le projet striké et ainsi poursuivre leur développement.
Le strike de Pokémon Essentials a de son côté fait bien plus peur à la communauté, car c’est le moteur de jeu qui a été directement frappé. Pendant plus d’un an, son développement a été bloqué, ce qui a favorisé l’émergence de moteurs alternatifs. Aujourd’hui, Essentials a retrouvé toutes ses couleurs.
Du côté de Sacred Phoenix, nous avons de la chance d’être à Kalos : la branche européenne de TPC est connue pour être bien plus laxiste que celle d’Unys (USA). Elle peut même offrir des jeux à ses let’s playeurs les plus fidèles ! (C’est ainsi que Fildrong a eu gratuit le remake du dernier Donjon Mystère pourtant vendu plein tarif à 70€).
Enfin, il y a l’aspect « nous mettrons notre jeu en libre de droit » qui joue en notre faveur : les créateurs de la licence ne seront pas bridés par notre inventivité. Bien au contraire, ils sont libres d’intégrer nos créations dans leur univers officiel, ce qui en tant que fans constitue pour nous la reconnaissance ultime ! (Cela ne serait pas possible avec un fan-game « fermé ».)
J’insiste quand même que tout ce qui est liée à la propriété intellectuelle de TPC reste à TPC et est utilisé au nom de l’usage raisonnable (fair use). Cela implique une utilisation non commerciale du fan-game pour une entité autre que TPC. Seul l’apport ajouté par nous les fans est libre de droit.
Il y a-t-il aussi un risque judiciaire vis-à-vis des autres makers ?
Concernant les réclamations « entre makers » – même si ça prend parfois des proportions qu’il ne devrait jamais y avoir pour des projets amateurs et dénudés de but lucratif – le risque sur le plan judiciaire est en vérité quasi-nul. Aucun tribunal n’acceptera d’enregistrer une plainte pour un différend où il n’y a aucun enjeu financier, ni du côté du plaignant, ni de l’accusé ! Beaucoup de créateurs de fan-games oublient que leurs créations sont des travaux dérivés de The Pokémon Compagny et que le making est censé être un passe-temps à titre de loisir.
C’est pour cela que du côté anglophone, le seul totem inviolable est juste le respect du droit moral, c’est-à-dire de créditer l’artiste original. Les makers se permettent de piocher allègrement dans toute licence officielle sans demander la moindre permission. Pourquoi de simples amateurs auraient-ils le droit à une protection plus élevée ?
Néanmoins, le débat se pose lorsqu’il s’agit de créations reprises d’autres makers. Selon le degré d’originalité de l’œuvre originale (une forme régionale sera considérée comme méritant une protection bien moindre qu’un pur Fakemon, de même qu’un élément reproduit depuis l’Anime), le degré de ressemblance et l’énergie que déploie l’accusateur à défendre son travail, l’image de l’accusé sera plus ou moins écornée, ce qui peut amener à un rejet voire à un ostracisme de la communauté ! Mais même avec une réputation ruinée, il sera impossible de l’empêcher de poursuivre son développement et d’avoir potentiellement du succès en fédérant sa propre communauté.
En résumé, le vrai risque se situe au niveau de la réputation : la pression donc est plus sur le plan moral que judiciaire.
Plus globalement, au-delà des aspects juridiques et des autres makers, comment envisages-tu le futur pour le projet Sacred Phoenix ?
L’un des obstacles majeurs au projet (mais qui fait aussi sa beauté), c’est son ambition. Les objectifs sont tellement hauts qu’il nous faut énormément de temps pour valider un milestone. Un exemple est la démo prévue (théoriquement) en automne et qui doit comporter l’entièreté de Tintignac, la seconde ville du jeu.
Pour la publier, j’ai calculé qu’il ne me faudra pas moins de 12 nouveaux artworks de PNJs humains et les sprites qui vont avec. (Rappelons que du fait de son époque reculée, Sacred Phoenix ne peut réutiliser les personnages officiels de Pokémon et donc designer entièrement les siens.) Or, seuls deux personnes peuvent les dessiner : Eysselia et notre dernière recrue qui est encore en période de rodage ! Idem pour le codage où je suis la seule personne compétente alors qu’il y a tellement de choses à réaliser : un système de craft y est prévu et je ne sais pas comment je vais m’y prendre…
Mais mon plus grand ennemi, c’est la dispersion : gérer trop de choses à la fois et me déconcentrer de mes objectifs, faire des changements de dernière minute, parce que je suis perfectionniste… Là par exemple, je devais sortir la démo d’été et la puber chez les Anglais pour le mois d’août… Ce n’est toujours pas fait au moment où je réponds à cette interview, alors que techniquement la démo est prête.
Cela fait partie des aléas du making : à l’exception d’un ou deux projets français que je connais, aucun n’arrive à tenir des deadlines et les dates de sortie sont sans cesse repoussées aux calendes grecques.
Malgré cela, Sacred Phoenix s’en sort pas mal avec des publications régulières prouvant que le projet est réellement vivant et actif. Il suffit de voir l’activité du Discord ou de Deviantart.
C’est pour cela que je compte énormément sur le coming-out de Pokémon Sacred Phoenix au sein de la communauté anglaise et ainsi ramener du sang neuf. Nous ne pouvons rester une petite équipe de 4-5 personnes pour un projet de cette envergure et qui a déjà plus de 3 ans. Notre démo d’été entièrement traduite en anglais et espagnol (qui sera probablement publiée lorsque vous lirez cette interview) va servir de lance de bataille et prouver que le projet est sérieux et solide.
Si tout se passe bien, l’équipe devrait s’agrandir et permettre de retrouver le rythme de développement qu’il y avait en 2019. Si le destin me sourit et que des gens vraiment talentueux rejoignent l’aventure, je pourrai espérer réaliser tous mes idéaux, incluant le développement sur Godot.
Sur un plan plus personnel, qu’est-ce que le projet t’as apporté ? Humainement et/ou en termes de compétences ?
Sur le plan des compétences, cela m’a fait découvrir le pixel art, le logiciel RPG Maker XP ainsi que l’univers de la création d’un jeu vidéo. Mais mon plus grand gain d’expérience se situe sans contexte en codage (plus précisément sur le langage Ruby). Je ne suis naturellement pas doué avec ça (et je le confirme encore aujourd’hui), mais lorsqu’on se retrouve au pied du mur (à savoir : sans aucun programmeur dans l’équipe), il a bien fallu que je fasse le saut de l’ange et consacre des centaines d’heures à m’y former en autodidacte.
À terme, je vais peut-être me lancer dans l’animation de pixel art à travers des outils adaptés (l’un de mes idéaux est d’animer en HD tous mon Pokédex) et l’édition musicale.
Sur le plan humain, ça m’a permis de rencontrer des personnes fabuleuses qui malgré les épreuves traversées sont restées fidèles au projet. Grâce à ça, nous formons un noyau solide et avons pu établir de solides fondations pour Sacred Phoenix.
Les événements vécus m’ont aussi appris à protéger mon projet en :
- Évitant de le promotionner prématurément, le risque était de générer une hype puis d’avoir l’effet « soufflet qui retombe » à cause de deadlines non tenues.
- Ne recrutant pas n’importe qui dans l’équipe. Il est important que toute nouvelle recrue adhère à la philosophie du projet et s’entende bien avec les membres déjà présents.
- Demandant à chaque nouveau membre qui rejoint l’équipe de signer un contrat stipulant que toute œuvre réalisée pour le projet devra être sous Licence Creative Commons, c’est-à-dire libre de droit et ce de manière permanente et irrévocable. Cela permet de sanctuariser le travail déjà accompli au sein du projet et de ne pas le voir être retiré rétroactivement, source d’énormes perte de temps et de gâchis artistique. Tous ceux qui ont aidé ou fait part d’aider au projet (ponctuellement ou officiellement) ont tous accepté cette clause, donc je suis serein sur ce point-là. (Les erreurs du passé ne se reproduiront plus.)
Riche de ces expériences, l’avenir du projet va se jouer dans les semaines qui vont suivre, lorsque le coming-out chez les Anglais sera officialisé et apportera du sang neuf. Inexorablement, cela va conduire à un métissage entre Kalosiens et Unysiens. Le défi sera d’apprendre à communiquer entre ces deux langues au sein de l’équipe. Ça sera la prochaine expérience humaine.
Et sur le long terme ?
Sur le long-terme, mon objectif final est de réaliser un fan-game qui aura autant de succès que les plus reconnus d’entre eux et pourquoi pas d’attirer l’attention de Game Freak. Je cherche à prouver que la licence peut encore être plus belle s’ils voient l’apport de leur communauté comme une force et non comme un empiétement envers leur propriété intellectuelle.
Pour des raisons financières, Game Freak ne peut prendre aucun risque et doit conserver une formule qui garantira son succès commercial ; alors que nous, les fans, sommes dispensés de ces contraintes. Ainsi, nous pouvoir laisser parler notre cœur, faire le saut de l’ange et explorer des mécaniques qui – si notre jeu aboutit – seront testées par les joueurs et donneront lieu à des retours. Ces retours pourront à leur tour aiguiller les développeurs officiels sur les vraies attentes de leur communauté.
Si j’arrive à réunir des gens talentueux qui adhèrent à la philosophie du libre partage et que nous y mettions tous notre cœur, Pokémon Sacred Phoenix pourrait atteindre une qualité qui n’aura rien à envier à un jeu professionnel, ce qui constituerait un exploit pour un jeu vidéo développé sans but lucratif (donc sans aucun budget). C’est ce qui fait la beauté de la chose.
Qui sait, peut-être que Game Freak fera de notre fan-game un « Pokémon Legend : Sacred Phoenix » et le porteront de manière officielle sur Nintendo Switch. Je suis sûr que la communauté serait prête à payer la version officiellement commercialisée afin de leur montrer que l’univers du fan-game apporte une valeur ajoutée à la licence.
Nous te souhaitons donc bon courage, non seulement à toi mais aussi à toute l’équipe de Sacred Phoenix, pour attendre ce futur ambitieux que vous souhaitez !
Arrivant au terme de cet entretien, je me permets de te remercier une nouvelle fois d’avoir pris le temps de répondre à ces nombreuses questions. Je remercie également les lecteurs qui seront arrivés jusque-là (car c’est sans conteste l’interview la plus complète jusqu’à présent, mais elle nous aura permis d’évoquer de nombreux sujets). Naturellement, nous vous invitons à aller sur le site officiel de Sacred Phoenix et leur Discord si vous voulez en savoir plus sur le projet. Des sujets sur Sacred Phoenix sont également disponibles sur Nuzlocke France. Vous retrouverez tous les liens au dessus de l’interview.
Pour terminer, aurais-tu un dernier mot Amras en conclusion de cet entretien ?
Merci à toi Gobou de m’avoir accordé cette interview et surtout le temps que tu y as consacré. Gérer la logistique de ces longs échanges fut un défi. Tu es la première personne à faire un « spotlight » sur mon projet. (En trois ans, c’est pour dire !)
Je remercie tous les lecteurs qui auront eu le temps de lire cette interview dans son intégralité. Je suis de tout cœur avec Gobou pour qu’il structure et divise en chapitres ce long échange afin de vous offrir une lisibilité optimale. (Ceux qui se lancent dans l’écriture de romans me comprendront.)
Comme dernier mot, j’annoncerai que si vous avez envie de rejoindre un projet Pokémon original qui sort des sentiers battus, les portes vous sont grandes ouvertes ! La sphère française du fan-making Pokémon n’a jamais eu la chance de briller, c’est l’occasion de porter les couleurs de Kalos et offrir un vent nouveau sur la licence.
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